Hakai est un raté.
Il a vécu normalement, avec ses parents, dans une ville moyenne du Japon, malgré son caractère colérique, voire légèrement violent. A une enfance banale a succédé une adolescence mouvementée.
Repéré très tôt grâce à son don pour le chant, un producteur est venu voir ses parents alors qu'il était âgé d'une dizaine d'années. Il leur a proposé une très belle offre : leur fils Hakai apprendrai le chant et la musique avec d'autres jeunes de son âge. Il deviendrait célèbre, gagnerait de l'argent ; et ses parents, qui n'étaient pas très riches, ont fini par accepter. Hakai a piqué une crise, hurlé, cassé des milliers d'objets, mais rien ne les a fait changer d'avis. Finalement, sa mère a réussi à le calmer en lui promettant qu'ils viendraient le voir très souvent, à Tokyo, et qu'ils lui ramèneraient plein de cadeaux à chaque fois. Il s'était donc dirigé à contrecœur vers le taxi, en compagnie de l'homme.
Bien évidemment, il n'a jamais revu ses parents. Au début, ses tendances violentes s'étaient estompées avec l'espoir de revoir sa famille ; mais il a fini par désespérer et faire une dépression, qui l'a amené à redevenir violent, bien plus qu'auparavant. Les producteurs se sont dits qu'il ne pouvait pas faire partie de ce groupe qui devait faire un buzz énorme, ce serait mettre en l'air tout le projet et jeter leur argent par les fenêtres. Hakai commença sa dépression vers 13 ans, mais c'est à partir de 15 que le changement devint radical ; il s'habilla en gothique, n'écouta plus que du métal, et se renferma encore plus sur lui-même. Les producteurs ont alors craqué ; ils l'ont purement et simplement expulsé du foyer. « Nous ne pouvons pas nous permettre de tout flanquer à l'eau parce que tu n'en fais qu'à ta tête, avaient-ils annoncé. Tu t'en vas, on ne veut plus de toi ici. »
Hakai était alors entré dans une colère noire et avait hurlé toute la haine qu'il éprouvait pour ces hommes qui l'avaient arraché à son cadre familial ; il avait hurlé à quel point il avait détesté sa nouvelle vie et à quel point il leur en voulait. Les producteurs lui ont retiré son nom de scène – Kaito Isamine – et l'ont mis à la porte, avec ses affaires. Hakai a dû trouver un lycée qui l'accepterait en internat et fut retenu à Broken Flower.
Moralité ? A quinze ans, quand on est viré d'un endroit qu'en quatre ans, on n'a jamais réussi à considérer comme son foyer, on ressent un mélange de rancœur et de soulagement. Mais quand on est violent à faire peur, associable, gothique, métalleux, et qu'on tue l'homme qui a détruit notre vie avec un pied-de-biche, on se sent heureux de tirer un trait sur son passé.
Cet homme, il l'a tué lors de sa cérémonie d'entrée. Il n'a pas cherché à oublier ce souvenir, mais n'y accorde que peu d'attention. Tout s'était passé très vite ; après avoir passé une semaine à jouer de la guitare, le son de son ampli monté au maximum, puisqu'il lui était interdit de sortir, on lui ouvrit la porte et le conduisit dans une salle obscure aux épais rideaux de velours. Une femme lui confia un pied-de-biche et lui ordonna de tuer la personne enchaînée sur le fauteuil, au milieu de la pièce.
« Eh, tu te prends pour qui ?! avait-t-il lâché. Je ne tuerai personne, ne me donne pas d'ordres. »
La femme avait paru surprise de la véhémence de son refus, mais s'était rapidement reprise.
« Cet homme, c'est le producteur qui t'a arraché à ta famille pour ensuite t'abandonner dans la nature parce que tu ne lui convenait pas. C'est lui qui... »
Elle n'avait pas eu le temps de finir sa phrase que Hakai lui avait assené un coup de poing dans la figure, avant de lui prendre le pied-de-biche des mains et d'assassiner l'homme en hurlant sa rage, sa haine et sa jubilation, continuant de le frapper et de le défigurer longtemps après sa mort.
Aujourd'hui, deux ans plus tard, Hakai est à l'aise dans son lycée. Il joue de la guitare électrique dans le groupe de métal du bahut et chante occasionnellement. On apprend vite à le reconnaître et, surtout, à l'éviter. Malgré tout, les filles le trouvent « trop classe » et feraient tout pour assister aux répétitions.